Article « Thérapie du « truc ». Le pourquoi du comment ! »

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Article publié dans la revue Hypnose & Thérapies Brèves (n°68).

Par Solen Montanari | Psychologue, psychothérapeute depuis 2000. Travaille en libéral en région parisienne auprès d’enfants et des familles, formatrice à la Thérapie du Lien et des Mondes Relationnels (TLMR), à l’Institut Mimethys.

Non, dit le petit prince. Je cherche des amis. Qu’est-ce que signifie « apprivoiser » ?

– C’est une chose trop oubliée, dit le renard. Ça signifie « créer des liens… »

– Créer des liens ?

– Bien sûr, dit le renard. Tu n’es encore pour moi qu’un petit garçon tout semblable à cent mille petits garçons. Et je n’ai pas besoin de toi. Et tu n’as pas besoin de moi non plus. Je ne suis pour toi qu’un renard semblable à cent mille renards. Mais, si tu m’apprivoises, nous aurons besoin l’un de l’autre. Tu seras pour moi unique au monde. Je serai pour toi unique au monde…

Le Petit Prince – Antoine de Saint Exupéry

Élisa 14 ans m’est adressée par une ancienne patiente sophrologue qui dit ne pas parvenir à aider suffisamment sa jeune patiente. Elle m’explique rapidement qu’Élisa ne retourne plus à l’école depuis des mois et souffre de dépression et d’angoisses. La sophrologie l’aide à s’apaiser un peu mais la thérapeute sent qu’elle ne parvient pas à lever un frein. 

Élisa vient avec sa maman, perdue dans sa capuche de hoodie rose 2 tailles trop grandes pour elle. Elle a un regard blasé et distant. Sa maman est très présente, cherchant à établir un contact entre sa fille et moi en passant son regard sur Élisa. puis sur moi de manière alternative et inquiète. 

Je comprends que Élisa. a été rencontrée par un bon nombre de psychologues, médecins, psychiatres et autres thérapeutes. Elle n’a nullement envie d’être présente là maintenant dans mon cabinet. 

Elle me dit qu’elle ne fait plus confiance aux « médecins », soit au mieux ils avancent des théories et des injonctions sur son état soit au pire ils ne l’écoutent même pas. Elle n’a aucun espoir que nous puissions faire quelque chose pour elle et a encore moins envie de me raconter pour la énième fois son histoire. 

Ma chaise à roulettes fait un bon mètre de recul et je me décale légèrement sur le côté pour ne pas prendre de plein fouet ses réticences et ses critiques à l’égard de mes confrères. Sa maman prend un air contrit et désespéré. 

Thérapeute: Si je comprends bien il y a quelque chose qui t’amène de médecin en médecin et personne ne semble t’aider comme tu souhaites l’être?

Élisa: Je crois que personne ne peut m’aider

Et à chaque fois que je dois parler, tout le monde pense comprendre, mais personne ne comprend vraiment. Ils sont tous fiers de mettre un mot sur ça sans que ça soit vraiment le problème. 

Thérapeute: Es-tu en train de me dire qu’il y a un problème? 

Élisa: Je ne sais pas. 

Thérapeute : Ok, qu’est-ce qui fait que tu vas de médecin en médecin alors? 

Élisa: Ma mère

Thérapeute: Très bien, et ta mère, qu’est-ce qui l’amène à t’amener de médecin en médecin, d’après toi? 

Élisa: Ben, y a un truc.

Thérapeute: Ah, un truc? 

Élisa: Oui, un truc.

Thérapeute: Bien, donc, y a un truc? 

Ce truc, est-ce qu’il serait possible pour nous de l’imaginer ici entre nous dans cet espace? Comme une scène imaginaire sur laquelle nous poserions ce «truc»? 

Élisa: Oui

Thérapeute: Ok donc ce «truc», il est comment? 

Élisa: Ben en fait, y a un autre truc à côté. 

Thérapeute: Ah? et si on met également l’autre truc à coté? Ça donne quoi quand ils sont à coté comme ça? 

Élisa: Et ben, voilà. Les médecins, ils mettent un nom sur ces deux trucs ensemble mais ne regardent jamais ce qu’il y a réellement dessous. Ils se font plaisir et veulent que je fasse des choses en fonction.  

Thérapeute: Ok, donc y a un truc, un autre à côté et au-dessus, y a un titre que les médecins ont donné à ces deux trucs? 

Élisa: Oui, mais je m’en fiche de ce titre. Ils en parlent tous, ils n’écoutent pas. 

Thérapeute: Ah, et tu dis qu’il y a quelque chose en dessous, c’est bien ça? 

Élisa: Oui, il est en dessous et beaucoup plus grand

Élisa commence à s’animer un peu plus sur sa chaise. Elle commence à se pencher sur cet espace entre nous et avec des gestes donne forme à ce qui se construit. 

Thérapeute: Ce truc en dessous, est en lien avec les deux trucs au-dessus et avec le titre que les médecins ont donné dont tu t’en fiches? 

Élisa: Oui, c’est comme une ligne horizontale… oui une ligne qui monte et qui descend.

Thérapeute: E. c’est peut être étrange ce que je vais te dire, mais il y a une image qui se forme de plus en plus clairement lorsque je regarde tout ça… tu me permets de dire ce que je vois ici entre nous? 

Élisa: Oui.

Thérapeute: Je vois comme un iceberg, avec ces deux trucs, le titre au dessus, et cette ligne est comme la ligne du niveau de la mer et en dessous une énorme masse noire. 

Élisa: Oui, Oui !!! c’est exactement ce que je vois, comment vous faites ça? 

Thérapeute: Je ne sais pas… ce niveau de la mer si je comprends bien bouge, non?

Élisa: Oui, ça dépend de comment je me sens, ça dépend si je vais mieux ou pas. Ça dépend s’il y a des choses de la masse en dessous qui se décrochent. 

Thérapeute: Hum, et donc ça bouge tout ça. Le haut, le bas, le niveau entre les deux, le sentiment de se sentir mieux et des choses qui se décrochent.

Élisa: Oui, et y a une chaîne qui tient le bas par la pointe et va vers le fond. 

Thérapeute: Et ce fond est encore plus noir et sombre, la chair de poule me vient sur les bras lorsque cette image est là et il y a une grande peur qui l’accompagne…

Élisa: Oui, c’est là que personne ne veut aller… 

Thérapeute: Dis moi, je ne sais pas si je saurais t’aider, ni même si tu as besoin d’aide mais si jamais tu acceptais de revenir peut être une prochaine fois est-ce que tu accepterais de me faire découvrir ce fond noir et sombre?

Élisa: Oui, mais même moi je ne le connais pas vraiment ce que c’est, j’en ai peur. 

Thérapeute: Est-ce que tu penses qu’il serait envisageable cette prochaine fois, s’il y en a une, que nous nous en approchions un peu ensemble? 

Élisa acquiesce de la tête.  Sa maman sourit, me dit qu’elle n’a pas tout compris mais que c’est la première fois que sa fille parle et se livre autant sur ses sentiments. 

La Thérapie du Lien et des Mondes Relationnels (1) nous amène à proposer un espace, dans l’ici et maintenant, dans lequel la rencontre peut être possible. Elle permet de planter un décor fertile qui fait émerger une relation dans un moment précieux. Pour le thérapeute, c’est à chaque fois une façon créative et étonnante de se mettre en relation.

Dans ce travail, ensemble, nous co-construisons une scène imaginaire. Cet imaginaire partagé est l’espace dans lequel à cet instant précis, les pensées, les choses, les ressentis peuvent prendre forme. Ils peuvent se dévoiler, se présenter, prendre vie et se transformer. Grâce à cette co-création de la part du patient et du thérapeute une rencontre de deux mondes relationnels s’opère. C’est un espace qui devient propre et commun aux deux, dans lequel le lien patient -thérapeute devient possible. Ensemble, ils regardent la scène, ensemble, ils ressentent les effets de ce qui s’y déroule, ensemble, ils vivent une expérience unique. Ils en deviennent unis.

Daniel Stern décrit ce phénomène de rencontre et de partage lorsqu’il parle d’intersubjectivité. Cette bulle, dans laquelle se vit une expérience propre au patient et au thérapeute, est un moment où ils se reconnaissent entre êtres vivants, avec leurs pensées, leurs croyances et leurs ressentis. Ce besoin que nous avons d’être compris est vital, c’est-ce dont tout le monde parle lorsqu’ on parle d’empathie. 

Cette expérience avec Élisa était assez inédite pour moi. Ce petit mot « truc » a suffit pour qu’on se cherche, qu’on se parle et qu’on se comprenne au-delà de nos pensées, dans nos corps. Cette chair de poule qui s’est invitée dans mon corps, en lien avec ce qui se passait dans la scène imaginaire, m’a permis de ressentir au-delà de toute interprétation. De sentir avec.

Husserl dit « nous devons avoir l’esprit ouvert à l’autre afin de voir les mêmes choses que l’autre » mais j’ajouterais aussi « pour sentir dans notre corps les mêmes choses que l’autre. » 

En effet, le corps est un élément indispensable dans le travail clinique. Dans la Thérapie du Lien et des Mondes Relationnels, ce corps est un corps en relation, il est vivant en lien avec son environnement et avec les autres. Les informations que reçoit le corps et qu’il émet en retour sont des éléments qui permettent de densifier la communication interpersonnelle et intrapersonnelle. Il capte et envoie des messages non verbaux qui vont au-delà du cognitif. 

En clinique, ce sont ces messages, quelque fois, les plus inexpliqués, les plus étonnants qui nous semblent les plus « justes », les plus accordés dans cette bulle co-construite entre patient et thérapeute. Nous pouvons la comparer à la rencontre corporelle mère-enfant. En observant les expressions du visage et du corps de son enfant, la mère est plus à même de répondre aux besoins du bébé. Par observation et mimétisme elle reproduit spontanément les expressions de son enfant. On sait que le bébé, dès ses premières minutes de vie a une capacité également à reproduire les expressions de sa mère. Ensemble, ils s’accordent et une synchronicité entre les deux êtres se met en mouvement, créant petit à petit une bulle unique et sécurisante. Le corps à corps mère-enfant crée un lien sécure ; le corps apaisé de la mère parvient à apaiser le corps agité de son enfant.

En clinique, il est important que le thérapeute puisse lui-même faire l’expérience d’une relation à l’autre, au monde, à ses représentations sécures. C’est une expérience vécue par et dans le corps d’une manière incontestable. Ancré dans son corps, le thérapeute peut mettre en place les moyens, par cet espace de créativité, aux deux protagonistes de la thérapie, de se connecter. Faire cette expérience peut soit réactiver les ressources déjà vécues chez le patient et permettre de découvrir qu’il y a d’autres personnes avec qui cette expérience de synchronicité est possible, soit être une réelle nouvelle expérience fondatrice. 

Lorsqu’ Élisa me fait son retour d’expérience, elle me parle de travail « d’âme à âme ». Elle n’aime pas sa personne physique mais elle est en accord avec son âme et elle me dit avoir rencontré chez moi une autre âme qui lui permet de se sentir en confiance. Elle se confie et elle dessine ce qu’elle ressent et voit lors de nos rencontres. J’aimerais qu’elle partage avec vous son ressenti de notre expérience thérapeutique c’est-ce qu’elle fait lorsqu’elle dessine sur mon mur vitré un dessin de l’ iceberg, sa maman également souhaite partager par écrit son expérience de témoin.

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Lorsqu’ Élisa me fait son retour d’expérience, elle me parle de travail « d’âme à âme ». Elle n’aime pas sa personne physique mais elle est en accord avec son âme et elle me dit avoir rencontré chez moi une autre âme qui lui permet de se sentir en confiance. Elle se confie et elle dessine ce qu’elle ressent et voit lors de nos rencontres. J’aimerais qu’elle partage avec vous son ressenti de notre expérience thérapeutique c’est-ce qu’elle fait lorsqu’elle dessine sur mon mur vitré un dessin de l’ iceberg, sa maman également souhaite partager par écrit son expérience de témoin.

Ci-contre, dessin d’Elisa.

La thérapie du truc – témoignage de la mère du patient

Ça y est. C’est le jour J, nouveau rdv avec une nouvelle psychologue qui m’a été vivement recommandée par l’infirmière sophrologue qui suit ma fille depuis plus de 6 mois. Je suis impatiente de savoir si Élisa va adhérer et si le contact va se faire. J’y mets beaucoup d’espoirs cherchant à trouver une énième solution pour que ma fille aille mieux, sorte de sa coquille et se libère un peu du fardeau qui l’étouffe au quotidien depuis si longtemps.

Déjà il faut dire que le cabinet où nous sommes reçues n’a pas grand-chose à voir avec les précédents bureaux des psychologues et psychiatres que nous avons rencontrés. Un grand espace lumineux s’ouvre à nous avec des grandes fenêtres qui donnent sur la verdure et des arbres.

La rencontre ne se fait pas derrière un bureau, mais nous sommes invités à nous asseoir dans d’accueillants fauteuils en osiers ornés de jolis coussins turquoise. Les 3 fauteuils sont disposés en demi-cercle, il règne une atmosphère conviviale et accueillante. 

Je m’installe sur le côté, Élisa au milieu et la stagiaire de la psychologue en face de moi. La thérapeute, une grande femme rayonnante et souriante, quant à elle, s’assoit sur un fauteuil à roulettes et vient se placer devant Élisa, fermant ainsi le cercle. Vu de l’extérieur, on pourrait penser qu’on va prendre le thé entre copines, surprenant et agréable en même temps.

Élisa est prostrée sur sa chaise, pas très ouverte à cette nouvelle expérience à laquelle, pour me faire plaisir, elle se sent obligée d’assister…

Je décide de laisser les choses se faire, assister en spectatrice et pour une fois de me taire sans dérouler tout le passif lourd à entendre pour Élisa.

L’échange entre la thérapeute et Élisa est surprenant. La thérapeute reprend ce que dit Élisa, sans interpréter, doucement comme si elle tirait sur un fil d’une pelote imaginaire que tient Élisa. À ma grande surprise le contact se fait, une bulle se créer autour de nous 4. La langue de Élisa se délie malgré ses réticences et sa posture change au fur et à mesure que l’entretien avance, plus ouverte et plus en avant sur son fauteuil. Les choses vont alors très vite, si bien que j’ai la sensation qu’une autre bulle se crée entre Élisa et la psychologue, dont nous ne faisons plus partie la stagiaire et moi-même. Nous sommes spectatrices et un peu dépassée par cet échange chargé d’émotions qui se déroule sous nos yeux et que l’on pourrait, à s y m éprendre, qualifié de dialogue de sourd, car tout se dit en image sans pour autant y mettre les « vrais » mots, les « trucs » de Élisa prennent forment. Élisa et la thérapeute parlent la même langue, se comprennent et bien qu’à aucun moment les mots « dépression » ou « angoisses » ne soient cités, toute l’immensité du problème qui nous amène ce jour est posé là, en trois dimensions, au centre de nos 4 fauteuils.

En plusieurs années de suivi, c’est la première fois pour moi que j’assiste à une séance de psy avec ma fille du début à la fin et j’avoue encore après le rdv, avoir été impressionnée par la puissance de l’échange et la manière assez exceptionnelle avec laquelle la thérapeute a réussi à interagir avec Élisa, qui est ressortie du rendez-vous transformée, comme revigorée car enfin entendue et comprise.

Revue Hypnose & Thérapies Brèves (n°68), page 18 à 24.

Bibliographie : Virginie BARDOT, Stephane ROY, Eric BARDOT,  De l’HTSMA à la thérapie du lien et des mondes relationnels, Ed Satas