CONSTRUIRE UN CADRE FAMILIAL SECURE

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Article de Mady Faucoup, psychothérapeute

Apport de la TLMR[1]

Travailler avec une famille dans laquelle un jeune enfant ne respecte pas le cadre familial est difficile, ce non-respect bloquant l’évolution de l’enfant et l’installation d’une ambiance chaleureuse et sereine. Pour sortir de ces situations difficiles, je propose depuis quelques années une démarche « stratégique-éducative » afin que chacun puisse se sentir « sécure » et à sa place.

Comment instaurer une position d’autorité compétente et cohérente chez les parents ? Il s’agit de passer d’une plainte dirigée vers l’enfant à une thérapie familiale. Tout va se faire en présence des parents, de l’enfant, voire de tous les enfants. En réalité, sous couvert de remettre un cadre en réinstaurant les règles, l’enfant va servir de modèle pour une meilleure harmonie familiale. La thérapie vise à repositionner la place de chacun dans la famille, à remettre de la complicité et du lien dans le couple et à apporter de la sécurité à tous les enfants même ceux qui semblent moins concernés ! Les  règles sont communes à tous les membres de la famille (parents inclus). Cette démarche est plus aisée pour les enfants de moins de dix ans. Après, il faudra travailler directement sur la problématique familiale. Quoi qu’il en soit elle n’est pas rigide, elle sert de colonne vertébrale à un travail créatif permettant à la famille de retrouver des sentiments partagés en séance, puis ensuite de recréer du lien.

Théo, un rebelle de 5 ans

Théo 5 ans vient en consultation avec ses parents. Il présente des comportements de rébellion manifestes et fréquents. Il occupe sans cesse l’espace familial ce qui met toute la famille en difficulté. Il a un frère et une sœur, beaucoup plus grands, qui ne sont pas venus.

– J’explique à Théo : « Je vais demander à tes parents de faire quelque chose pour que ça aille mieux dans la famille, et je te remercie d’être là pour les aider ensuite à bien faire leur travail de parent ! » (Une façon de l’impliquer sans rien lui demander, et sans se focaliser sur lui comme étant le problème).

– Je lui précise : « Tu pourras aller dessiner ou jouer ou rester là, comme tu veux… »

La thérapie amène ensuite chacun à établir un objectif. Théo manifeste clairement qu’il n’a pas envie d’être là, il gesticule, fait du bruit, et interrompt sans cesse ses parents. Je m’adresse d’abord aux parents, car leur réponse pourrait lui faire tendre l’oreille.  

– Maman : « je voudrais tant qu’il se calme »

– Thérapeute (T) : « qu’est-ce ce que cela changera chez vous ? »

– Maman : « je serai plus patiente avec Théo, je m’énerve  tout le temps et parfois pour pas grand-chose »

– Papa : « J’aimerais être capable  de mieux faire avec lui, moi aussi je suis décontenancé et je deviens souvent violent, ça ne me plaît pas du tout, je n’étais pas comme ça avec les grands »

– T s’adressant à Théo: « tu es venu parce que tes parents t’on dit de venir, maintenant imagine que ça change quelque chose qu’est-ce que tu aimerais qu’il se passe ? »

– Théo : « rien » (ton maussade)

– T : «  je te remercie encore d’être venu pour rien, juste parce que tu as fait confiance en venant avec tes parents ! » il lève les yeux, surpris, intéressé, c’est déjà une réponse. (Ce qui compte c’est que chacun soit là  pour quelque chose même si ça ne le paraît pas !)

Je vais leur demander ensuite quel ressenti cet objectif amènera, d’y réfléchir d’abord puis de me le dire. Le plus souvent cela se rejoint.

– Maman : « je serai sereine, et plus sûre de moi »

– Papa : « oui, pareil, plus tranquille, je ne me poserai plus mille questions »

– T : « et toi Théo, tu penses, que d’être venu ici avec tes parents, et qu’ils fassent quelque chose pour que ça aille mieux, ça fera quoi chez toi? »

– Théo : (il me regarde, visiblement intéressé par la question, puis embarrassé) « j’sais pas » (Il est petit pour répondre à cette question mais je lui montre que je prends également en compte son ressenti).

– Je  demande ensuite aux parents d’évaluer dans leur tête ce ressenti, sur une échelle de 0 à 10, dans ce qu’ils vivent actuellement dans leur vie quotidienne, puis de me le montrer quand le chiffre est bien présent. J’utilise l’écartement des mains, que je fais devant eux, en montrant à 10 et à 0, ce qui constitue déjà une première induction de transe sur l’objectif. Ils me montrent chacun un petit écartement équivalent à 3. Ca se rejoint sur le ressenti et l’évaluation. (C’est déjà un premier point de rencontre entre eux qui crée une émotion de part et d’autre et qui va amener Théo à être plus attentif à ce qui va suivre).

Apprentissage des règles

Nous passons à la deuxième phase. En  conversation hypnotique, et avec quelques métaphores[2], je dis d’un trait ceci aux parents :

– « Vous allez vous réunir tous les deux sans vos enfants, et  établir 1 à 3 règles maximum dites « incontournables ». (Je parle pour toute la famille, même si les deux autres enfants ne sont pas présents, les règles sont valables pour tout le monde).

 « Vous allez décider ensemble, sans les enfants, de vous mettre d’accord, parce que quand un enfant n’obéit plus, c’est comme si il roulait sur une route enneigé, il ne voit pas les bords et il file sans cesse sur le côté. Il se met en danger. Il a besoin qu’on lui apprenne à conduire et qu’on lui déblaie les bords…

Il risque, quand l’énervement sera là, ce qui est compréhensible, de subir une réaction de votre part, des cris ou des coups, et que ça lui fasse mal, et ça vous fera mal aussi, vous aimez votre enfant, vous ne voulez pas lui faire subir ça… (Je parle lentement, ton plus bas, avec des pauses, et je regarde en aparté, Théo écoute). Je continue : Et vous les parents, la fatigue vous prend de plus en plus, de répéter tout le temps dix fois les mêmes choses… et en même temps, comme l’énervement augmente, plus rien ne va, même le chausson qui traine ! Vous avez besoin que la tranquillité revienne et vous seuls savez ce qui est important dans la vie de la famille pour que ça fonctionne, ce que vous voulez qu’il se passe pour que vos enfants grandissent et deviennent adultes, en lien avec vos valeurs profondes. Vous savez protéger votre enfant, vous savez ce qui est bon pour lui, vous  allez reprendre les commandes et vous  allez lui apprendre comment faire. Alors vous allez vous concentrer sur ces quelques règles à faire respecter».

– Vous allez décider ensuite d’une « conséquence » pour chaque règle si elle n’est pas respectée. Autant que possible cette conséquence doit être en rapport avec la règle, comme de faire une pause et de s’excuser par exemple, sinon, cela peut être aussi une punition.

Une règle qui n’est pas respectée n’est pas valide donc s’il n’y a pas de conséquences au non-respect d’une règle, la règle n’existe pas ! On ne peut pas demander à un enfant d’avoir envie de l’appliquer, si il peut la contourner pour son propre plaisir il le fera. Pourquoi le mot conséquence ? Parce que quand on respecte les règles, on les oublie et du coup les conséquences deviennent agréables : Meilleure entente, meilleure ambiance dans la famille, envie de faire des choses ensemble…

– Ensuite, vous allez organiser une réunion de famille avec tous les enfants et vous allez dire :

« Votre maman (votre papa) et moi, voilà ce nous avons décidé.. »Et vous  expliquez aux enfants les règles et les conséquences. Puis, vous commencez  tout de suite à l’appliquer. Quand un problème survient en lien avec la règle, vous direz « rappelle-toi ce qu’on a dit » pour lui laisser une chance de choisir ce qu’il veut, puis vous appliquez sans commentaire la conséquence si il continue à la transgresser. Il va vous falloir beaucoup  de rigueur, ne pas lâcher prise, et surtout ne pas répéter car votre enfant s’engouffrera dans la brèche et mettra en échec le dispositif, chassez le naturel, il revient… Bien sûr, il ne s’agit  pas de mettre de la rigidité dans votre vie de famille mais au contraire de la souplesse, car à terme, quand les règles seront intégrées, vous n’aurez plus besoin d’en parler sans cesse. C’est pour cela qu’il ne faut pas déterminer trop de règles, et pour le reste, vous pouvez accepter d’être plus souples, comme le chausson qui traîne par exemple… Cette démarche a pour but de permettre à votre enfant de savoir d’avance le prix à payer, il ne sera pas surpris par une réaction  qui pouvait être aléatoire et changeante auparavant : Une fois la grosse punition, une autre fois vous passiez dessus, parce que vous vouliez lui montrer aussi que vous l’aimiez. C’est une autre façon de respecter votre enfant, de lui faire confiance, de lui permettre à son tour de décider ce qu’il veut… « S’il veut rouler à 160 sur l’autoroute il paiera une amende en conséquence, ou sinon, il saura quoi faire pour l’éviter ». Quand un enfant ne se comporte pas bien il pense qu’il est mauvais, il s’identifie à ce qu’il fait, et il ne se sent pas en sécurité non plus d’être le chef à la maison, même si cela présente parfois quelques avantages(les parents sont touchés, Théo l’est également, il écoute attentivement, il y a comme un arrêt sur image).

Puis je termine en leur proposant de mettre tout ça en place et de les revoir dans 15 jours.

Apparition de nouvelles interactions

A la séance suivante, je remarque qu’ils reviennent avec une meilleure énergie, il y a des sourires entre eux. Chacun exprime ce qui a changé.

– Maman : « On a mis en place ce que vous nous avez dit, on a fini par fixer deux  règles principales : obéir quand on  demande quelque chose et bien se parler … le plus dur a été de trouver des conséquences  justes et de se mettre d’accord sur ce qu’on demande à nos enfants » (En effet, lorsqu’il s’agit d’une règle aussi générale, ça nécessite que les parents réfléchissent à ce qu’il demandent, que ça ne soit pas trop rigide et que ça ne varie pas d’un jour à l’autre ! le plus simple est de prendre 2/3 règles plus concrètes qui serviront de modèle).

– Papa : « ça s’est fait assez facilement, on s’est mis d’accord et on a appliqué ! » (Ce n’est pas toujours le cas, cet exercice met en jeu l’accordage des parents, puisque c’est un travail sur le couple qui se fait en même temps).

– Je demande ensuite à Théo : « as-tu remarqué quelque chose de différent ? »

– Cette fois-ci il sourit : «  c’est mieux »

– T : « qu’est-ce qui est mieux ?»

– Théo : « Papa et maman crient presque plus » (quand ils appliquent la règle, ils n’ont plus besoin de donner plein d’explication comme le font trop souvent les parents, ni de moraliser l’enfant, ni de s’énerver).

– Je blague un peu avec lui : « et est-ce que tes parents ont bien obéi aux règles ? ».

– Théo sourit.

– Je reprends l’objectif sur le ressenti et on évalue l’évolution sur l’échelle. Les mains des parents s’écartent à 7/8. Je demande à Théo, il est tout content de me montrer un écartement équivalent.Dans ce cas, je n’ai eu plus qu’à consolider le travail en les revoyant deux fois pour les soutenir dans leur persévérance.

(Sinon, je reprends ce qui n’a pas marché et pourquoi. Parfois il faut deux ou trois séances pour que la démarche fonctionne vraiment bien et que les parents tiennent leur position dans la durée. Le plus souvent,  il y a eu déjà un changement et les parents n’ont quasiment pas eu besoin d’appliquer les conséquences et les effets positifs sont apparus ! D’ailleurs c’est l’objectif de cette démarche : Que l’enfant entende en séance où est  sa place et que  les parents s’engagent ensemble ; certains enfants vont quand même tester l’autorité mais je soutiens les parents à chaque séance pour qu’ils continuent ; fréquemment l’enfant se plaint que les parents n’ont pas fait respecter les règles, ce qui montre d’ailleurs combien ils sont partie prenante de l’exercice ! Pour ceux qui prenaient un peu trop le pouvoir, c’est leur façon de continuer à se sentir acteur mais dans le  bon sens !).

Autorité et coopération

L’enfant se construit dans un collectif intime, la famille, qui va servir de base au collectif sociétal. Dans toute organisation humaine, le « nous » sera un «nous » vivant si ses membres font partie intégrante de l’unité communautaire tout en restant des personnes singulières. Cette approche développée en TLMR permet de comprendre qu’il y a deux cas de figure concernant le travail ci-dessus :

1) Un « nous » qui annulerait la singularité de chacun, un pouvoir supérieur dominant et sans limites, comme on peut le voir dans les organisations sectaires. C’est le cas d’une famille rigide qui doit obéir à des dictats du genre « il faut que », « je dois », imposés par les parents qui les ont eux-mêmes reçus de leurs parents, etc.. Tout est contrainte, au nom de l’illusion d’une famille parfaite…

2) Un « nous » inexistant, avec des « je » « tu » qui forment une collection d’éléments sans lien les uns avec les autres. Chacun grandit comme il peut en se sécurisant tout seul, autant que faire se peut évidemment, car nous avons besoin des autres !

Pour que les relations humaines interagissent sainement dans une communauté, il va falloir sortir de la dualité en « triangulant » avec une dimension commune partagée, le rapport à une autorité véhiculant des valeurs, des principes de vie qui donnent du sens à la relation et lui confère une véritable existence. Le JE/TU est alors de l’ordre de la singularité de chacun, apprécié et aimé pour ce qu’il est, dans un NOUS qui va être la résultante de cette triangulation.

Nous sommes à la fois un et ensemble. Et seuls, nous sommes capables d’exister dans l’autonomie, parce que nous triangulons avec des valeurs communes partagées qui donnent du sens à notre vie et de la motivation.

Nous venons de voir que dans une famille, par exemple, ce qui va donner du sens aux règles, c’est qu’elles s’invitent en lien avec les valeurs des parents. Ce ne sont pas des croyances qui amènent à la norme et à l’idéologie, mais des valeurs universelles partagées. Cela va constituer un cadre sécure, cohérent pour l’enfant, en lien avec le monde des représentations véhiculé par les parents. L’enfant pourra ensuite explorer le monde avec l’autonomie relationnelle qu’il aura acquise.

La notion de « sécure » souligne que notre corps est un corps en relation : ce ne sont pas des idées, c’est du vécu et du ressenti ! Il est nourri par ces relations sécure, la vision positive qu’on a de sa vie, un environnement physique rassurant et des  relations aux autres humains également soutenantes. 

Le rapport au monde pour l’enfant passe d’abord par ses perceptions sensorielles. Il va sentir très vite si l’accordage corporel avec sa figure d’attachement est désaccordé. Lorsqu’elle est trop anxieuse, l’investit comme un doudou rassurant ou bien au contraire lorsqu’elle évite le contact. L’enfant va alors se construire dans un rapport à l’autre + ou – sécure. Il ne fera pas toujours, ou insuffisamment, l’expérience du NOUS dans la fusion et la défusion, mouvement permanent d’accordage et de désaccordage, métaphorisé par le rythme, le bercement par exemple. Les effets de cet accordage corporel, lorsqu’il est suffisant et par la répétition, vont l’amener peu à peu vers l’autonomie en tant qu’être humain à la fois libre et en lien. Mais il peut comprendre très vite aussi qu’il ne doit compter que sur lui-même, ou qu’il ne doit pas déranger ou bien qu’il est indispensable à sa figure d’attachement etc…Evidemment, à ce stade il le signifiera par des comportements disjonctifs avant qu’au fil de son développement, cela devienne des croyances installées.

Lorsque je reçois un enfant « étiqueté » hyperactif, il s’agit très souvent d’un enfant qui s’oppose à la règle édictée comme une injonction, et non pas incarnée par les parents en lien avec leurs valeurs et qui la respecte eux-mêmes. Lorsqu’on subit les limites, on ne peut pas les intégrer comme un cadre sécure à l’intérieur duquel on peut faire ce qu’on veut. L’agitation est une métaphore agie de leur insécurité : une girouette agitée par un vent fou, qui tournerait dans tous les sens sans pouvoir indiquer la direction du vent. Et cela est tout aussi valable pour un enfant soumis, autre face du même problème, celui d’un nous coercitif  et non pas en triangulation pour tous les membres de la famille. La girouette dans ce cas est rouillée, elle n’est plus qu’une représentation du pouvoir du vent sur elle. Il est fréquent d’ailleurs, qu’un ou des enfants de la même famille se trouvent dans cette position. Ils sont tout autant en difficulté mais pas étiquetés comme enfant(s) « à problème », au contraire !

Le rapport à l’autorité est pollué par une relation duelle qui ne peut s’exprimer que par la rébellion ou la soumission. L’obéissance, quand elle triangule avec les valeurs incarnées par les parents qui accompagnent l’enfant vers l’autonomie, est une obéissance de coopération.

Autonomie et lien « sécure »

Pour conclure, nous nous définissons et nous nous construisons sainement dans le monde avec des limites repérées et cohérentes, en lien avec des valeurs. Notre liberté est inhérente à la fois à notre singularité, à notre appartenance et à l’universel qui triangule. Nous allons vers l’autonomie avec des repères solides, et avec des liens « sécure » internalisés.


[1] TLMR : Thérapie du Lien et des Mondes Relationnels développée par le Dr Bardot, psychiatre, pédopsychiatre installé à Nantes.

[2] …métaphores glanées lors de ma formation en Thérapie Brève à l’Espace du possible à Tournai avec le Dr Doutrelugne.

Faucoup Mady, psychothérapeute
Mis en ligne le 09/04/2024