Article « Travailler le lien humain et les mondes relationnels en sexothérapie »

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Article publié dans la revue Sexualités humaines n°57, avril 2023

Par Géraldine GARON | Infirmière anesthésiste D.E, Hypnothérapeute, Sexologue et formatrice à l’institut Mimethys.

Introduction
En tant que sexothérapeute, ma rencontre avec la Thérapie du Lien et des Mondes
Relationnels (TLMR anciennement HTSMA) a changé radicalement mon abord des
patients et de leurs problématiques. Intégrant l’hypnose, la thérapie narrative, les
théories sur l’attachement, les thérapies systémiques, la TLMR permet de fluidifier le
travail thérapeutique allant du trouble ponctuel aux traumatismes complexes. Elle
permet ainsi d’aborder les problématiques de sexualité dans leurs dimensions
relationnelles et humanistes.


La thérapie du lien et des mondes relationnels
Selon le Dr Eric bardot, psychiatre, pédopsychiatre et psychothérapeute, directeur de
l’institut Mimethys, concepteur de cette approche thérapeutique « Quand nous
naissons et que nous nous développons, nous construisons des mondes relationnels à
travers les relations dans lesquelles nous sommes. Ainsi, les relations nous
construisent et nous en créons des mondes relationnels. Ce qui est à la base, à
l’interaction centrale, c’est le lien humain. Ce lien humain qui peut se décliner sur le
mode de la relation d’attachement. À partir de là, chaque être humain, dans sa
singularité, va se construire des modèles de représentation du monde. Ces modèles
orientent notre manière de percevoir les choses et de les vivre. La thérapie du lien et
des mondes relationnels amène la personne à ouvrir son monde relationnel ».


L’intérêt de la TLMR est d’autant plus avéré lorsque le patient s’est construit dans
des mondes relationnels traumatiques. Dans cette approche, le processus d’accordage
relationnel avec le patient est considéré comme le terreau du lien de confiance entre
le patient et le soignant. Plus les problématiques amenées par les personnes sont
complexes, plus il est nécessaire de prendre son temps dans ce processus.

Utiliser les ressentis du thérapeute
Lors des échanges avec son patient, en transe d’observation et en pleine présence, le
sexothérapeute TLMR est en même temps centré sur ce qui se passe chez lui, chez le
patient, et dans la relation entre eux. Les effets perçus, de part l’effet mimétique et le
lien intersubjectif, sont des indices précieux de la problématique de la personne. Ce
sont ces informations, échappant à notre contrôle et aux règles implicites auxquelles
nous sommes soumis, que le thérapeute va apprendre à percevoir dans son propre
corps, pour les mettre au service du patient et de la relation patient-thérapeute. Ainsi,
dans un processus de collaboration, en tissant un lien humain sécure, le thérapeute
prend soin du patient, de lui et de leur relation.
Cet apprentissage est très écologique pour le thérapeute confronté, comme c’est
souvent le cas en sexothérapie, à des problématiques traumatiques complexes. En
effet, il n’en subit plus l’impact inévitable dans son corps, mais le partage avec la
personne dans une relation sincère afin de faciliter le travail en cours.
Connecté à son ressenti interne, à sa corporalité, le thérapeute sert de modèle à la
personne dans la connexion ou la reconnexion avec son propre corps. En cela, il
facilite l’objectif en sexothérapie de lever les obstacles à la fluidité, à l’accès aux
apprentissages et à la mise en oeuvre des habiletés corporelles, émotionnelles et
relationnelles. Ce processus est renforcé en TLMR par l’utilisation d’un
questionnement focalisant stimulant en permanence le rapport au corps.
L’observation et la validation de chaque micro-changement chez le patient par le
thérapeute sont comme de petites marches franchies vers le mouvement, le
changement attendu.
Thérapeutiques en eux-même, ces principes de base sont les prérequis au travail avec
les mondes relationnels traumatiques du patient. Ensuite, des modélisations
spécifiques à la TLMR, partant de la mise en scène de la problématique du patient,
permettent de lever les blocages et d’accompagner vers la libération des effets des
mondes traumatiques.

Chloé et l’autorisation à jouir de la vie: un exemple de séance en TLMR
Afin d’illustrer mes propos sur l’intérêt de la thérapie du lien et des mondes
relationnels en sexothérapie, je vous propose un extrait d’une séance avec une jeune
femme venue me consulter. J’ai suivi Chloé il y a quelque temps dans un contexte
d’épuisement professionnel (elle est soignante). Elle a depuis changé de service et
choisi de travailler là où elle se sent en accord avec ses valeurs humaines. Elle a
retrouvé de l’énergie, de l’appétit pour la vie. Notre lien de confiance est installé,
c’est d’ailleurs ce qui amène Chloé à pouvoir aborder maintenant cette problématique
de l’intime. Elle a 35 ans, est en couple depuis une dizaine d’année avec Rémi. Ils ont
un enfant de 2 ans. La difficulté de sexualité qui l’amène a toujours été présente dans
sa vie.


-Th: qu’est-ce qui vous amène vers moi aujourd’hui?
-C:égoïstement, j’aimerais m’occuper de mon plaisir, de mon désir, ressentir les
choses: je ne me sens pas complète, je sais qu’il me manque quelque chose. Je suis
bloquée dès que je sens quelque chose qui pourrait devenir agréable


Elle me cite les exemples de la rééducation du périnée après son accouchement ou
des contacts avec son compagnon: elle a ressenti et ressent des sensations agréables
mais les bloque immédiatement. En même temps qu’elle me parle de son souhait de
s’occuper d’elle, son visage fait une moue de dégoût.
-C: c’est comme si c’était pas bien, pas pour moi.….Pourtant quand il m’arrive
d’avoir des orgasmes – alors que je n’avais pas de désir, mais il faut bien y passer
des fois pour Rémi, le pauvre – c’est super. La plupart du temps, pour avoir une
relation sexuelle ouverte, open, on utilise de la coke, sinon je n’y arrive pas, voir
même j’ai mal.
-Th: Là, Chloé, lorsque j’entends ce «c’est comme si c’était pas bien, pas pour moi»,
j’ai une image qui me vient

Je la pose devant nous, sur la scène imaginaire. On appelle scène imaginaire en
TLMR l’espace devant le thérapeute et le patient. Cet espace va permettre
l’externalisation (le fait de partager les effets ressentis) chez le patient ou le
thérapeute et la métaphorisation de la problématique du patient. Cette
métaphorisation peut prendre différentes formes : personnes connues, personnages,
lieu réel ou imaginaire, musique, son, objets…
-th: il y a Chloé debout et une sorte de spectre sombre qui la surplombe et la scrute.
-C: oui, c’est ça, une ombre noire, elle me fait peur (Chloé me montre son ventre)
voilà, c’est ça, c’est le blocage que je ressens, rien que d’en parler, il vient
-th: c’est gérable pour vous ou vous avez besoin d’aide maintenant?
-C: j’ai l’habitude, c’est bon pour moi.
-Th: cette ombre noire, que fait-elle, que dit-elle qui agit sur votre sexualité?

Je pratique à ce moment des mouvements oculaires rapides et amples afin de
favoriser une réponse spontanée, non réflexive.
-C: elle me dit que c’est une contrainte
-th: elle me dit que c’est une contrainte?
-C: oui, que coucher avec mon chéri, le plaisir, ça va me demander une contrainte,
ça va me prendre du temps sur autre chose.
-Th: est-ce que nous devons comprendre que cette ombre noire dit que le plaisir
charnel partagé avec Rémi, c’est du temps perdu qui n’est pas consacré à autre
chose?
-C: oui, par exemple à mon sommeil. Alors que je sais que bien d’autres choses me
prennent du temps, c’est débile, mais oui, c’est ça. C’est une contrainte qui prend du
temps sur le reste. Le sexe, c’est quelque chose dont on peut se passer, c’est du
superflu
-th: si je comprends bien Chloé, une partie de vous adhère à l’idée de l’ombre noire
qui dit que les relations sexuelles c’est du superflu dont on peut se passer et une
autre partie de vous n’est pas d’accord avec l’ombre noire et trouve ce qu’elle dit
débile?
-C:oui
-th: observons ces deux parties de vous, chacune sur une chaise devant nous, à quoi
ressemblent-elles?
-C: ha oui, elles sont bien là !! Chloé me les montre avec sa main. il y a Chloé un peu
plus jeune, déprimée, complètement éteinte. Celle qui trouve ça débile c’est moi
ouverte ouverte et qui sourit.
-C :L’adulte cherche à entrer en contact avec la jeune mais elle n’arrive pas à
accrocher son regard.
-Th: Ok. observons là, maintenant qui vient se mettre en lien avec Chloé ado et qui
entretien chez elle l’idée de «le plaisir charnel c’est du superflu, on peut s’en passer»

De nouveau je fais une série de mouvements oculaires rapides et amples puis je mets
la main en écran, c’est à dire que ma main devient une surface de projection comme
la scène imaginaire au sol.
Chloé écarquille les yeux de surprise.
-C: ha merde, c’est mon père, encore lui….


Le système familial bâti autour de la valeur travail du père de Chloé et l’atmosphère
dans laquelle elle a grandi étaient déjà apparus au cours de nos précédentes séances.
Chloé avait alors pu s’affranchir de l’idée de devoir tout mettre en oeuvre pour
s’installer en tant qu’infirmière libérale- ce qui correspondait à l’idée de réussite et de
sécurité financière de son père.
-Th: ok et quand votre père est là, qu’est-ce qu’il fait, qu’est-ce qu’il dit qui entretien
chez Chloé plus jeune cette idée de la sexualité-contrainte?
-C: Mais c’est toute sa vie qui est comme ça!! il n’en prend jamais de plaisir, comme
si même il ne savait pas ce que c’était. Il travaille.
-Th: et comment ça réagit chez vous?

J’observe son visage grimaçant, comme celui d’une petite fille effrayée, son corps, lui
est tout recroquevillé.
-C: j’ai peur…non …. c’est pas de la peur, c’est de l’insécurité.
Le chat avec lequel je travaille vient d’ailleurs de s’installer sur les genoux de Chloé
de ronronne très fort en la regardant. De mon côté, j’ai rapproché mon fauteuil car
dans nos séances précédentes, cela avait toujours un effet rassurant et sécurisant pour
elle.
-Th: et c’est où en vous cette insécurité?
-C: dans mon ventre, mais c’est ok, c’est mieux.

Effectivement j’observe que Chloé a lâché son ventre et que les traits de son visage se
sont relâchés, sa respiration est plus fluide.
-Th: Observons là maintenant qui vient se mettre en contact de votre père et de Chloé
ado et qui les maintient dans cette croyance du plaisir-superflu?
-C: sa mère, ma grand-mère. Je ne sais pas ce qu’elle lui demande, je sais juste qu’il
a perdu son père à 14 ans et qu’elle, elle s’est suicidée quand il en avait 20. C’était
la «vieille France»….

Jamais Chloé n’a évoqué cette partie de l’histoire de son père
-Th: chez moi, il vient quelque chose, c’est ok que je le partage avec vous?
-C: oui, bien sûr

je ressens une grande tension dans ma gorge, je fais le geste de prendre dans ma
gorge et de poser sur le sol devant nous:
-th: un morceau de bois. En retour, qu’est-ce qui vient chez vous?
-C: ça me fait du bien. Ça me soulage.
-Th: ok, portez votre attention sur ce soulagement.

J’utilise des mouvements oculaires plus courts et lents pour amplifier le soulagement
ressenti
Chloé a l’air calme, son corps prend plus de place sur le fauteuil, mais son dos n’est
pas posé. Elle regarde la scène imaginaire avec intensité. Je lui montre donc l’endroit
où elle regarde:
-th: Quelle forme elle prend cette «vieille France», là devant nous?
-C: c’est des personnages. Un homme et une vieille femme qui ressemblent au
tableau des fermiers mormons avec une fourche dans les mains, très sévères.
-th: et quand Chloé adulte regarde cette vieille France, là devant nous, qu’est-ce qui
se passe chez elle?
-C: franchement ça lui donne envie de vomir …
-th: et qu’est-ce qu’ils font qui lui donne envie vomir?
-C: ils gâchent leur vie en ne voyant que le travail. Ils sont vieux même jeunes. Et ils
méprisent ceux qui font autrement.
-Th : la femme en moi observe cette scène, entend vos mots et à l’intérieur, dans mon
ventre il y a un poids.

je fais le geste de le prendre dans mon ventre et de le poser devant nous. Chloé
approuve d’un signe de tête, elle respire plus amplement et s’installe plus
confortablement dans le fauteuil en silence.
-th: et Chloé ado, elle, elle en pense quoi?
-C: là, elle regarde moi adulte et dans son regard on dirait qu’elle lui demande de la
sortir de là. Et je lui tend la main. On se tient par la main.
-Th: et ça réagit comment chez vous?
-C: je suis hyper soulagée, plus légère
Mouvements oculaires lents et courts pour amplifier cette légèreté.
-th: et observons qui vient et partage cette envie de s’occuper de son plaisir, de son
désir, de ressentir les choses, de se sentir complète?

Mouvements oculaires rapides et amples afin de limiter la réflexion, de favoriser la
spontanéité.
-C: ma tante, la soeur de mon père. Elle, elle est open. On rit toujours beaucoup avec
elle. Elle profite de la vie.
-Th: que fait-elle dans votre direction qui vous autorise à vous connecter au plaisir
de vivre?
-C: elle me sourit
-th: observons le sourire de votre tante, là dans ma main.
-C: oui.

Chloé sourit et pousse un profond soupir de soulagement
Progressivement ma main se rapproche du ventre de Chloé, elle est comme attirée et
progresse tout doucement. En transe d’observation, j’observe des signes de
relâchement chez Chloé, ma main continue de progresser jusqu’à se poser sur son
ventre. J’internalise ainsi en Chloé l’autorisation et le lien soutenant à sa tante. Les
yeux de Chloé se ferment, elle est plongée dans une transe profonde d’intégration.
Ma main se décolle très progressivement après quelques minutes. J’approfondis
l’intégration chez Chloé en pratiquant un taping vibratoire sur ses genoux.
Je laisse un moment à Chloé pour terminer ce travail dans le silence. Nous nous
étirons ensemble et partageons un grand sourire et un regard chargés de complicité.
Pour terminer la séance, je propose à Chloé de se projeter dans les jours à venir et
d’observer les changements qu’elle s’imagine pouvoir faire, observer par rapport à
notre objectif de séance: «m’occuper de mon plaisir»
-C: je vais retrouver les bras de Rémi, juste le plaisir de le sentir contre moi, d’en
prendre le temps, de se serrer fort, ce que je ne pouvais plus faire.

Nous décidons ensemble d’arrêter la la séance.
Cette séance a permis à Chloé de franchir de grand pas dans sa vie intime. Son fils a
retrouvé son lit (il dormait très mal et partageait très régulièrement le lit conjugal), et
la survenue d’un désir sexuel spontané a surpris plusieurs fois Chloé lorsqu’elle a
respiré le parfum de son homme. Nous avons continué nos séances pendant quelques
mois encore avant qu’elle se sente totalement libre d’explorer son plaisir de vivre.

Conclusion
Je terminerai en citant Amanda Sthers dans « lettres d’amour sans le dire » qui parle
d’une rencontre avec un thérapeute Shiatsu: « nous ne pouvions respirer à contretemps,
votre souffle me demandait que je sois avec vous. Et dans ce duo
d’exhalations, soudain je n’ai plus été seule et mes yeux ont laissé couler des larmes.
Ce n’était ni du chagrin, ni même une émotion, je libérais simplement de la vie.» Ces
quelques mots illustrent avec grâce l’effet du travail d’accordage cher aux thérapeutes
TLMR.


Géraldine Garon, sexothérapeute, thérapeute TLMR, infirmière anesthésiste,
formatrice à l’institut Mimethys.

Résumé
fer de lance de l’essor d’une vision plus relationnelle de la sexualité, la Thérapie du
Lien et des Mondes relationnels permet de fluidifier le travail thérapeutique. Les
problématiques abordées concernent aussi bien les troubles ponctuels, comme les
traumatismes complexes, qu’elles soient intra ou interpersonnelles. La TLMR met au
centre le travail sur le lien humain. Cette approche de l’Autre en tant que sujet,
symbolisée par le tissage de la relation patient/thérapeute, permet d’accompagner
d’une façon sécure et de créer des moments de rencontre authentiques, favorables à
aborder le coeur de l’intime.

Mots clés :
Accordage relationnel ; mondes relationnels ; externalisation ; Thérapie du Lien et
des Mondes Relationnels ; effet mimétique ; intersubjectivité
Bibliographie
Eric Bardot, virginie Bardot, Stéphane Roy (2022), « De l’htsma à la Thérapie du
Lien et des Mondes Relationnels », Bruxelle, ed SATAS
Daniel Stern (2003), « L e moment présent en psychothérapie » , paris , ed Odile Jacob
Mickael White, David Epson, « Les moyens narratifs au service de la thérapie » , ed
le germe SATAS, Bruxelle, 2003
Y. Doutrelune, Julien Betbèze, Vera Likaj, Isabelle Barrois, Olivier Cottenson,
« thérapies brèves plurielles » Ed Masson, Paris, 2019
Virginie Bardot, Eric Bardot, Stéphane Roy, Géraldine Garon, Solen Montanari,
Pierre Pétillot, Tristan Delaage, Etienne Maunoury, Michel Lamarlère, Séverine
Filho, Antoine Ravilly, 2023, « récit de thérapeute, 15 illustrations cliniques et
pratiques en TLMR » , Bruxelle, ed Satas (à paraître en mars 2023)