L’intérêt de la Thérapie du Lien et des Mondes Relationnels
Par Géraldine GARON | Infirmière anesthésiste D.E, Hypnothérapeute, Sexothérapeute, thérapeute TLMR et formatrice à l’institut Mimethys.
Introduction
Souvent, indépendamment de son genre, de son orientation sexuelle ou encore de sa
culture, lorsqu’une personne pousse la porte d’un sexothérapeute, telle une ombre, la
honte l’accompagne. Elle peut être LA problématique, l’une de ses conséquences ou
encore causée par l’anticipation d’un possible jugement du thérapeute.
D’une façon générale, on peut définir la honte comme une émotion sociale douloureuse
liée au fait de perdre – ou d’imaginer perdre- sa réputation, sa dignité, d’être rejeté, parce
qu’on est -ou que l’on s’imagine- regardé comme“ hors normes ». Ce regard peut être issu
des divers champs de la relation: à soi, à l’autre, au monde et à la spiritualité. Tous les
aspects de la personne peuvent en être l’objet: statut social, esprit, corps….On la
distingue de la culpabilité qui touche, elle, les actions de la personne.
Les manifestations de la honte sont polymorphes, nous en avons tous ressenti un jour les
effets: rougissement, gêne, bafouillement, état de confusion, difficultés à soutenir un
regard… Celui qui en souffre cherche à la cacher, rentrer sous terre, disparaître ce qui
rend la honte encore plus visible. Selon Günther Anders, dans ‘l’obsolescence de
l’homme”, “la honte s’engendre elle-même, par un processus “itératif”; elle est alimentée
en quelque sorte, par sa propre flamme, et brûle d’autant plus longtemps qu’elle brûle
vivement”. La personne en vient alors à avoir honte des effets de la honte. On pourra voir
s’installer des comportements ou pensées de fuite ou d’évitement, des tentatives de
contrôle dans des comportements obsessionnels afin de dissimuler la honte. Il arrive que
la personne cherche même à adopter une nouvelle façade, à l’opposé de la honte, par
exemple dans une attitude de défiance, hautaine ou d’indifférence à l’autre. Elle se dupe
et dupe l’autre, ce qui fait le lit du dégoût de soi et des difficultés à s’accorder aux autres.
Contrairement à la pudeur qui permet d’ajuster la distance relationnelle propre à chacun,
recevoir, ou imaginer recevoir un regard d’opprobre n’a rien de protecteur ni d’utile dans la
création du lien social. En effet, loin de relier et de permettre de créer des communautés
de soutien, le sentiment de honte s’infiltre au plus profond de l’être, en atteignant l’identité
de l’individu, s’insinuant dans ses pensées et déterminant ses actes. Elle isole. Alors que
d’autres émotions dites négatives, telles que la colère ou la tristesse se racontent, la honte
empêche son partage et se renforce dans le silence qu’elle impose. Progressivement, elle
peut entraîner une altération de la relation à soi et aux autres, des questionnements
identitaires, des problématiques d’attachement ou encore des conduites addictives.
Le contexte sociétal
Le regard provoquant la honte en matière de sexualité se retrouve dans toutes les
mythologies fondatrices. Héphaïstos fabrique un filet pour punir sa femme Aphrodite et
son amant. Captifs, nus, ils subissent la honte d’être offerts à la risée des autres dieux.
Eve et Adam, eux, cachent leurs sexes après avoir commis le péché originel. De siècles en siècles, le sentiment de honte, allié à la culpabilité religieuse, oblige à cacher, mutiler
les “parties honteuses” représentées dans l’art. Pie IX en 1857, castre lui-même toutes les
statues du Vatican. Simultanément les corps des femmes et hommes s’encagent.
Aujourd’hui, en se référant aux nombreuses normes et injonctions sexuelles paradoxales
en vigueur, chacun peut trouver matière à éprouver un sentiment de honte. Comment être
toujours désirant(e), performant (e), musclé(e) et à la fois dans le “lâcher prise”, le “bien
être”, le “slow sex” ? Dans le culte ambiant de l’image de soi et des préoccupations
individuelles, beaucoup cherchent une “bulle de sérénité” ET une intensité perpétuelle. La
sexualité devient une performance de plus, permettant une décharge salutaire. Après
quelques années de liesse post guerres mondiales, les représentations du corps sexué –
surtout féminin- sont bannies de l’espace public. Ces censures envoient le message
implicite de l’interdit porté sur la sexualité, alors que chacun est sommé d’être un expert
du sexe.
Dans ce contexte, gare à celui qui rate une marche! Il ressentira sur ses épaules le poids
de la honte. Pèsera là son propre regard sur lui, celui des réseaux sociaux et de
l’entourage. L’entourage contaminé par le contexte a honte de la personne et honte d’avoir
honte. Parfois aussi, les proches ont malgré eux une pointe de jubilation à cet échec et
ressentent la honte de se réjouir du malheur de l’autre. Certains philosophes
contemporains, en observant les effets de la honte, posent la question pertinente des
intentions des injonctions et normes sexuelles. Certains y voient un moyen de contrôler les
esprits et d’empêcher de se relier entre humains afin d’éviter la révolte.
Comme preuve tangible de l’importance de la soumission des corps et des esprits par la
honte, on peut noter l’explosion de la chirurgie plastique dans toutes les catégories d’âge
et de sexe, du slut-shaming, du body-shaming, du nombre des savons intimes ou
serviettes “contre les mauvaises odeurs” disponibles dans les rayons de supermarché, de
la fréquentation des salles de sport par les adolescents… Des études menées en 2021
montrent que 41% des femmes ont honte de leur libido qu’elles considèrent trop faible par
rapport aux diktats sociétaux. (sondage par la plateforme émancipées sur 3685 femmes
âgées de 18 à 50 ans).
La transmission de la honte dans le cadre familial
Les relations dans le cercle familial alimentent elles aussi le sentiment de honte. On peut
citer les diverses rivalités de fratries (l’un “beau” ou “brillant” ou “intelligent”, l’autre vilain
petit canard…) ou les messages transmis lors de l’éducation. Les parents souhaitent
légitimement que l’enfant s’intègre à la société et en assimile les règles afin d’y avoir une
place. Cela concerne en autre le rapport au corps et à la sexualité. Prenons l’exemple de
la masturbation, considérée comme interdite dans l’espace public. Selon le vécu du parent
et ses représentations, la transmission de cette règle peut malheureusement faire porter
sur l’enfant un regard honnissant non pas sur le contexte dans lequel la masturbation est
pratiquée mais sur la masturbation elle-même. L’enfant se retrouve à ressentir de la honte
sur une activité pourtant nécessaire au développement de sa sexualité. La porte est alors
grande ouverte à la généralisation de la honte sur l’ensemble des activités sexuelles et à
l’enfermement dans le secret. L’orientation sexuelle, les choix de partenaires, les goûts
vestimentaires voire tous les pans de la vie peuvent être impactés.
Eddy de Pretto illustre à merveille ce phénomène dans sa chanson “Mon kid”. Il y dépeint
les injonctions masculinistes transmises par un père à son garçon qui se découvre
secrètement gay.
Tu seras viril mon kid
Tu tiendras dans tes mains l’héritage iconique
D’Apollon, et comme tous les garçons
Tu courras de ballon en champion
Et deviendras mon petit héros historique
Tu seras viril mon kid
Tu brilleras par ta force physique
Ton allure dominante, ta posture de caïd
Et ton sexe triomphant, pour mépriser les faibles
Tu jouiras de ta rude étincelle
Mais moi, mais moi, je joue avec les filles
Mais moi, mais moi, je ne prône pas mon chibre
Mais moi, mais moi, j’accélérerai tes rides
Pour que tes propos cessent et disparaissent
Sur quoi porte la plainte?
Dans nos cabinets de sexothérapie, comme dans la vie courante, la honte se nomme
difficilement. On la débusque dans des périphrases: j’aurais voulu rentrer sous terre, je
préfère être dans le noir complet pour faire l’amour, mon sexe devient comme un escargot
qui rentre dans sa coquille, c’est trop gênant, ça me met mal à l’aise….
Elle peut porter sur tous les aspects de la sexualité “honte d’avoir “trop” envie”, “honte
d’avoir la libido dans les chaussettes”, “honte d’avoir eu trop de partenaires”, “honte de
manquer d’expérience”, “honte d’une partie de son corps”, “honte d’être attiré(e) par
untel(le) ou part telle ou telle pratique”, “honte de ne pas être assez performant(e)”, “honte
de ses odeurs corporelles”, “honte d’être trop normal”, “honte de pouvoir faire mal”, “honte
d’avoir mal”…. la liste est loin d’être exhaustive.
Les liens touchés par la honte
Quel que soit son objet, la honte peut altérer les différents types de liens: lien à soi, à
l’autre et au monde des représentations. Lorsque la personne est totalement immergée
dans le monde de la honte, cette dernière effracte tous les liens. De la plus “simple” à la
plus complexe, voici les situations présentées par nos patients:
Je me déshabille devant mon partenaire et d’un coup, j’ai honte (de ma lingerie, de ma
pilosité, mes prétendus bourrelets, est-ce que je vais bien avoir une érection, de mes
règles ….). Le sentiment de honte est ici contextuel et disparaît dès que la relation se
construit.
Je rencontre quelqu’un qui me plaît et j’ai peur d’avoir honte, honte d’avoir honte à l’idée
de peut-être un jour me déshabiller devant lui. J’ai sans doute déjà vécu la sensation
d’avoir honte et je la redoute. Je vais contrôler un maximum de paramètres afin de limiter
ce sentiment ou éviter de me confronter à cette situation. Dans ce cas, le processus
thérapeutique doit d’abord franchir l’écran de fumée formé par la peur pour accéder à la
problématique de la honte.
La honte, la peur d’avoir honte et la honte d’avoir honte ne sont plus contextuelles, c’est
comme si elles m’habitent en permanence. Je change de peau, je me dissimule pour
tenter de fuir leurs effets et je dissimule à l’autre que je dissimule : je me perds. Elles
touchent à l’essence de mon identité. Mon monde est entièrement teinté de la honte, il est
probable que j’ai hérité de ce monde, qu’il s’agisse d’une honte “transgénérationnelle”. La
honte m’empêche d’exister en tant qu’individu et entraîne ma mort sociale: j’ai honte de
ma propre existence, je voudrais disparaître. En même temps, cette honte relie tous les
membres de mon univers et crée en quelque sorte un sentiment d’appartenance. Si je
sors de l’emprise du monde de la honte, j’ai peur de perdre ces liens et finalement qu’une
autre sorte de mort m’attende.
Aborder la honte en sexothérapie
Si la plainte du patient est centrée sur un sentiment de honte très contextualisé,
d’installation récente et si la personne présente un mode d’attachement sécure dans la vie
en général, nommer la honte, amener le patient à se connecter à la communauté des
honteux pour sortir de l’isolement, questionner le rapport aux normes, ou encore établir
une exposition progressive et désensibilisante par l’hypnose ou le jeu peuvent être des
pistes thérapeutiques suffisantes. Dans la série Sex education,le dr Milburn reçoit une
jeune fille honteuse à l’idée que son partenaire voit son visage “enlaidi” par l’orgasme. Elle
propose aux deux adolescents un jeu visant à se déformer mutuellement le visage avec
des rubans de scotch avant de faire l’amour. Elle utilise leur lien sentimental, la confiance
présente dans leur relation pour permettre à cette jeune fille de partager ce sur quoi porte
sa honte. La honte perd alors son pouvoir et le jeu peut venir finir de l’aider à franchir
l’obstacle qui l’empêchait de se connecter pleinement à son partenaire.
Toutefois, il est très fréquent d’accueillir en consultation des patients au vécu chargé de
multiples souvenirs traumatiques liés à la honte. Cette récurrence a marqué chez eux au
fer rouge les effets de la honte. Pour ces personnes, le mécanisme de neuroception qui
permet de détecter les signaux de danger dans l’environnement se rigidifie. La capacité à
évaluer la fiabilité du contexte s’altère. Selon Porges, cette capacité est basée sur la
lecture des messages corporels émis de façon inconsciente par les personnes autour de
soi. Ici, le corps du patient interprètera toutes les actions et intentions de l’autre comme
sources potentielles de jugement, de honte et de sensations désagréables.
Au mieux, il combat, comme l’illustre la réponse du garçon au père dans la chanson
d’Eddy de Pretto, ou comme Aphrodite qui après avoir fuit le filet de la honte, humilie son
mari en collectionnant les amants.
Au pire, l’anesthésie physique et émotionnelle, la dissociation, le désespoir l’envahissent,
le figent et rendent impossibles les relations intersubjectives. La personne se retrouve
alors bloquée dans l’exploration ou la mise en oeuvre de ses habiletés relationnelles,
corporelles et émotionnelles pourtant nécessaires à une sexualité intrapersonnelle et/ou
interpersonnelle épanouie.
L’apport de la TLMR
Ces phénomènes sont d’autant plus profonds si la personne présente un attachement
insécure. Dans une vision systémique, honte et attachement dysfonctionnels naissent
parfois de concert et se renforcent mutuellement. Ils deviennent le monde relationnel du
patient: un monde relationnel traumatique. Dans ces situations, même si la demande du
patient et parfois du corps médical, est orientée vers la résolution rapide du symptôme,l’approche thérapeutique ne peut pas se résoudre à une réponse organiciste,
éducationnelle ou purement comportementale. Il s’agit d’aller se connecter aux enjeux et
obstacles relationnels qui sous-tendent la sexualité.
Ces suivis complexes ont amené la construction de la Thérapie du Lien et des Mondes
relationnels par le Dr Eric Bardot, psychiatre, psychothérapeute et directeur de l’institut
Mimethys. Fondée sur la base du lien humain sain, la TLMR met au centre du travail
thérapeutique la relation humaine. Cette approche de l’Autre en tant que sujet est
symbolisée par le tissage soigneux de la relation patient/thérapeute. Elle permet
l’émergence de moments de rencontre authentiques autorisant progressivement le
traitement des situations les plus complexes dans un climat sécure.
Pour développer ses propres modélisations adaptées à l’accompagnement des
personnes aux mondes relationnels traumatiques complexes tels que la honte, la TLMR
s’est appuyée sur plusieurs influences. Les premières sont issues de la propre expérience
de thérapeute et d’être humain du Dr Bardot. Les suivantes proviennent des différents
courants thérapeutiques qu’il a pu explorer et enrichir: hypnose, thérapies narratives,
approches systémiques, travaux sur l’attachement de Bowlby, EMDR…
Dans la modélisation TLMR du travail sur la honte, comme pour toutes les modélisations
ayant trait à des mondes relationnels traumatiques complexes, il s’agit pour le thérapeute
d’avancer à pas de fourmi. Cette progression adaptée au rythme du patient facilite le
processus thérapeutique. Ce dernier repose sur la création d’une relation sécure, les
procédés d’externalisation, le questionnement sur le cercle intention/action/effet, le travail
avec l’imaginaire créatif partagé, les mouvements alternatifs…
Cette façon de travailler permet à la personne d’aller vers la libération de l’emprise de la
honte sur sa vie sexuelle. Thérapeute et patient vont oeuvrer à lever les obstacles afin de
permettre au patient d’accéder à l’éveil et à la curiosité de découvrir le plaisir du
cheminement vers la jouissance. Cette jouissance n’est pas ici résumée à un but
orgasmique à atteindre, il s’agit plus d’une connexion dans la joie, la confiance et la
sécurité avec soi et avec l’autre. Jouir de se regarder, s’offrir, recevoir, partager. Être
reliés par le corps et au-delà.
Illustration clinique
Pour illustrer cette façon de travailler pas à pas, je vous propose de m’accompagner lors
d’une séance avec Louise.
Louise est une jeune femme de 28 ans, habillée en sportwear, couvrant toutes les parties
de son corps. Sa peau est très claire. Son visage, mangé par de grands yeux bleus,
s’empourpre très souvent. Elle a des démangeaisons sur tout le corps. Il lui est difficile de
parler, nous avons au début utilisé des lettres pour parvenir à échanger. Notre travail a été
grandement facilité par la présence au cabinet de mes 2 chats: elle dit préférer les
animaux aux humains.
Louise vient me consulter depuis plus d’un an pour des problématiques diverses, liées à
une violence intra familiale sourde. Elle a grandi et continue d’évoluer dans un cadre où
les affrontements verbaux, humiliations, conflits hurlants entre ses parents et menaces
d’assassinat de sa mère par son père, sont la norme. Dans la famille, elle a longtemps
joué le rôle de protection de sa mère, se retrouvant alors dissociée entre son tempérament
calme, son souhait de dialogue et la nécessité d’affronter son père sur son terrain: la
violence. Son père lui a longtemps dit “toi et moi, on est pareils”.
Aujourd’hui, elle a réussi à faire un choix, à se positionner pour laisser ses parents régler
leur conflit seuls.
Elle souhaite s’occuper de sa vie de femme à présent. Elle partage la vie de son
compagnon depuis 5 ans.
Séance avec Louise
L-voilà, maintenant dans ma vie, il n’y a plus que mes problèmes avec mon copain. Mais
c’est des trucs dont j’ai du mal à parler. Silence
Louise est bien calée dans le fauteuil, son visage s’est empourpré, ses mains entortillées
elle me regarde de biais. Je prends soin de ne pas la regarder dans les yeux, mon siège
est assez éloigné d’elle.
th-Quand vous me dîtes « des trucs dont j’ai du mal à parler », est-ce que vous voulez
dire, en général ou là maintenant avec moi ?
Lorsque je pose des questions, je les adresse à l’espace situé devant nous; On appelle
cet espace en TLMR la scène imaginaire. C’est dans cet espace que nous allons
progressivement mettre en scène la problématique à travailler. Pour l’instant le but de
placer ma voix et mes questions à cet endroit est de commencer un travail indirect donc
plus protecteur pour Louise
L-En général c’est pire, là, je me suis bien conditionnée à vous en parler donc ça va à peu
près. En fait, je ne sais pas si c’est des trucs que je n’aime pas ou si j’ai un blocage. J’suis
gênée. C’était déjà comme ça avec mes autres partenaires. Et avec mon copain,
franchement y’ a qu’ ça qui ne va pas, le reste, notre relation, je me sens bien.
th-Quand vous me dites « des trucs », « y a que ça qui va pas », est-ce que je peux vous
poser une question un peu délicate ?
L-Oui
th-est-ce que c’est à la sexothérapuete que vous vous adressez ?
L-oui…Ben y a des choses que je n’arrive pas à faire. En fait, c’est l’histoire des
préliminaires.
th-« des choses que je n’arrive pas à faire, en fait c’est l’histoire des préliminaires ». Estce
que je peux vous dire ce que j’ai compris ?
L-Oui, c’est pas facile pour moi, d’être claire. il y a la « gênance » sur ce sujet….
th-ok. il y a la « gênance », elle est présente là aussi quand on parle?
L-Non en fait ça va mieux
th-est-ce que c’est ok de continuer ?
L-Oui. Ma copine avec qui j’ai réussi à en parler, la première fois que j’en parle à
quelqu’un, m’a dit, « vas-y parle lui à ta thérapeute ! »
th-et pourquoi elle vous dit d’y aller de me parler votre copine d’après vous ?
L-Parce que j’en ai marre de ce problème.
th-Je peux vous dire ce que j’ai compris de ce problème ? Signe de la tête affirmatif de
Louise (je commence à montrer la scène imaginaire et à faire le geste de montrer « ce
pb », comme si il était là devant nous ) c’est qu’avec votre copain, comme avec vos
partenaires précédents, il y a des difficultés dans la sexualité, surtout dans les
préliminaires, c’est compliqué pour vous et vous ne savez pas si vous n’aimez pas ou si
vous êtes bloquée ?
L-Oui, c’est exactement ça. J’comprends pas pourquoi j’y arrive pas
th-Que je comprenne bien ce que vous attendez de notre travail, le plus important pendant
cette séance, c’est « d’y arriver » au risque de ne pas comprendre pourquoi c’est bloqué
ou de « comprendre pourquoi vous n’y arrivez pas » et de au risque de continuer à ne pas
y arriver ?
L-ben ….comprendre, ça fait des années que je travaille seule là dessus et je ne retrouve
pas de traumatisme, j’ai jamais été violée ou autre. J’ai bien cherché mais non, je m’en
souviendrais bien si j’avais eu un traumatisme. J’aimerais bien comprendre mais surtout y
arriver en fait. Y a des choses que je voudrais faire mais je n’y arrive pas. Surtout y arriver
en fait.
th- »Surtout y arriver en fait ». Donc c’est là dessus qu’on doit travailler aujourd’hui ?
L-Oui, vraiment, en fait comprendre ça va pas changer grand-chose…mais ..Louise met la
main devant sa bouche, l’air très gênée…lui, finalement si je change, il va pas
comprendre. J’arrive pas à en parler avec lui, il y a la « gênance ». Si je change, à coup
sûr, il va m’en parler et je serais encore plus gênée…. J’me dis, tiens tu pourrais faire ça,
et ça me fait envie, mais à chaque fois, j’peux pas, c’est pareil, j’y arrive pas.
th-Lui, cest qui ?
L-Ben c’est Yann
th-ha ok, je peux encore vous poser une question un peu délicate ?
L-Oui (regard en coin)
th-arriver à quoi?
L-Ben à le toucher. J’ai même pensé que je m’étais trompée de bord, que j’aimais les
filles. Alors là ça , avec le père que j’ai, ça pourrait m’avoir bloquée. Il serait carrément
tombé raide mort. Mais non. j’en ai même embrassé une pour voir. Mais rien ne s’est
passé. Non c’est pas le problème : j’aime les hommes.
Louise me donne beaucoup d’informations. Je ne questionne pas davantage, c’est
prématuré car Louise est encore beaucoup dans sa tête, à se poser des questions à ellemême.
Je la laisse toutefois parler, car elle m’a dit qu’elle ne pouvait jamais parler de
sexualité, je l’interprète donc comme une marque de confiance.
th-je vous remercie Louise de nous aider à vous aider, je sais que ce n’est pas facile pour
vous de parler de ce problème. J’aurais besoin de savoir en quoi c’est important pour vous
d’arriver à le toucher ?
L-Ben, parce que j’ai plein d’idées dans ma tête, des envies. Et que pour Yann aussi, ça
doit lui faire drôle quand même que je ne l’ai jamais touché.
th-Il s’en plaint Yann ?
L-Non, il ne m’a jamais reproché là dessus. Mais en fait, il se passe l’inverse de ce dont
j’ai envie. Toujours.
th-Il se passe l’inverse de ce dont j’ai envie, toujours ?
L-Oui, en fait, même quand c’est lui qui me caresse, toujours ces fameux préliminaires,
mon corps se laisse faire, comme si il était mort et la tête fait zzzzzzzzzzzzzz (elle mime
une abeille) et part ailleurs.
th-Alors, pour m’aider à y voir plus clair, C’est acceptable, si on pose ce qu’on vient de se
dire devant nous ?
L-Oui
th- donc il y a votre copain, Yann, vous en face : avec ma main, je montre les
emplacements comme s’ ils étaient réellement là, devant nous.
Cette approche, typique du travail en TLMR, permet de mettre en scène de façon
indirecte, imaginaire, la problématique. On appelle celà l’externalisation. Dans le contexte
du monde relationnel de la honte, ce travail est crucial car il protège le patient des
abréactions. En cas de travail direct et identitaire, il est probable que Louise se serait
refermée sur elle-même, dans le mutisme ou qu’elle aurait fui. Notre lien aurait été rompu.
L-C’est comme si je n’arrivais pas à m’obéir à moi-même. Y a des choses que je voudrais
faire, j’y pense, j’ai envie, mais mon corps ne bouge pas.
th- Ok donc il y a Yann, « mon corps qui ne bouge pas » et « moi qui voudrait faire des
choses » comme le toucher ?
L-oui
th-« mon corps qui bouge pas », il ressemble à quoi ?
Je pratique des mouvements oculaires (MO) rapides et amples afin de limiter la possibilité
pour Louise de mentaliser sa réponse.
L-mon corps sans tête tout droit, les bras le long du corps. Il fait le mort.
th-et « moi qui voudrait faire des choses », si on le pose là, il prend quelle forme ?(MO)
L-Ma tête comme là, mais sans corps (elle me montre sa tête)
th-Dans ce que j’ai compris de la situation, il me semble que la gênance joue un rôle
important, si on la pose là, devant nous, avec le reste, elle prend quelle forme?
L-Ha oui….ça, elle est toujours là…. C’est un ours
th- Un ours, il ressemble à quoi cet ours?
L-Pas sympa, grand qui me regarde tout le temps.
th-Ce qui vient chez moi, c’est un ours, dressé sur ses pattes, qui domine de toute sa
hauteur. Hochement affirmatif de Louise
Ici, je dépose sur la scène imaginaire l’image qui a surgit dans mon imaginaire. Nous
commençons à co-construire. Je reprends les différents éléments de la scène et les
reformule en les montrant de la main, mon but est toujours de focaliser Louise sur la
scène imaginaire et progressivement de la faire descendre dans son ressenti corporel.
th-« mon corps qui fait le mort», que je comprenne bien, c’est tout le corps de Yann qu’il
ne peut pas toucher ?
L-Non, c’est juste : elle me montre avec sa main son propre bassin , le reste (elle me
montre le visage et le torse), c’est bon
th-ok, est-ce que je pourrais dire que « mon corps qui ne fait le mort» n’arrive pas à
toucher son sexe ?
L-Oui, j’en ai jamais touché un. Après pendant l’acte en lui-même ça va, « elle » est déjà
occupée à l’intérieur (elle me montre son bas ventre) donc pas de risque que je la touche.
J’ai 28 ans et …jamais (tristesse sur le visage de Louise)
th-qu’est-ce qui se passe dans votre corps ?
L-Ben c’est lourd, j’en ai marre de ce problème.
Son visage est rouge, ses yeux sont embués
th-vous connaissez cette sensation ?
L-Oui, tout le temps
th-c’est gérable là maintenant ou vous avez besoin d’un coup de main ?
L-C’est bon, merci
th-c’est ok si on reprend là où nous en étions ?
Je prends le temps de citer tous les éléments et continuer de densifier avec Louise la
mise en scène imaginaire de la dissociation.
th-on va l’appeler comment la… (je fais le même geste que Louise) de Yann?
L-J’sais pas ……La chose ?
th-Donc on va poser la chose, là, à côté de Yann, l’ours, « mon corps qui ne bouge pas »
et « moi qui voudrait faire des choses ». la chose, elle, elle ressemble à quoi ?
L-elle me regarde, elle a des gros yeux, des gros yeux et comme un nez (en même
temps avec son doigt en l’air, elle dessine un sexe d’homme )
th- donc il y l’ours et la chose qui me regardent?
L-oui, il y a Yann qui me regarde aussi. En fait, même s’ ils ne me regardent pas, je me
sens observée, même dans la nuit noire. C’est ça, je pourrais même me sauver. Une fois,
Yann a allumé, je suis partie.
th-C’est quoi ce « ça » qui fait que vous avez envie de vous sauver? (Louise baisse la
tête, rougit)
L-C’est ridicule, humiliant. Je trouve ça rabaissant
th- Louise, c’est comment là pour vous ?
L-c’est dur mais ça va, c’est bien de voir les choses comme ça. Vous avez exactement
compris le problème.
th- Est-ce que vous pensez être la seule personne a avoir des difficultés, à être gênée
dans la sexualité ?
L-Non, j’entends bien des phrases par ci par là, je pense qu’il y en a d’autres.
th- Est-ce ok si pour poursuivre notre travail, je vous propose de vous connecter à toutes
les personnes qui ressentent de la gênance au sujet de la sexualité, comme si elles
étaient là, autour de vous. Silence. C’est comment là ?
Son corps se cale plus profondément dans le fauteuil, ses épaules sont ouvertes et plus
relâchées. Elle me regarde et fait un petit signe oui avec sa tête
th-C’est ok, si on reprends là où on en était ?
L-oui
th-que je comprenne bien Louise, c’est quoi qui est ridicule, humiliant, rabaissant ?
L-Ben l’état dans lequel je suis. J’imagine déjà l’état dans lequel je vais être si je fais ce
que je pense.
th-Ce que je pense ?
L-Oui, toucher la chose, j’ai jamais fait alors, je sais pas faire, je vais être ridicule.
th-Je montre la scène : qui dit : « je être ridicule » ?
L-L’ours, la gênance, il me le dit et moi aussi finalement maintenant je me le dis. Il lui farcit
la tête avec tout ça « tu vas pas y arriver », « c’est ridicule de le faire et de ne pas savoir
faire »…
th-donc l’ours il farcit la tête de Louise avec toutes ces phrases.. et « mon corps qui ne
bouge pas » , il réagit comment en retour ?
th-Il a envie de se sauver et de toute façon, il ne va jamais vers Yann. Il est bloqué. il ne
se passe rien.
th-à votre avis, pourquoi l’ours farcit la tête ?
L-Il veut me protéger d’être ridicule ou d’être mal à l’aise
Le temps de terminer la séance est arrivé, je demande à Louise si pour elle c’est
acceptable que nous arrêtions là.
L-oui, déjà je suis très contente de notre travail, je ne pensais pas en arriver déjà là.
Conclusion
Cette séance nous a permis de mettre en scène la problématique de Louise. Nous avons
utilisé un questionnement très progressif s’appuyant sur la triangulation par l’imaginaire
partagé. Ce processus a permis d’instaurer un climat de confiance, grandement facilité par
la relation préexistante. Cette relation sécure et cette approche TLMR nous ont permis de
nous décoller rapidement de la plainte pratico-pratique sur les préliminaires et sur toucher
le sexe d’un homme amenée par Louise.
Il aurait été tentant d’endosser le rôle pédagogique, éducatif du sexothérapeute et
d’expliquer à Louise comment s’y prendre, de l’éduquer sur “comment toucher le sexe
d’un homme”, de proposer des exercices pratiques progressifs. Hors, Louise a réfléchi
depuis 10 ans sur son problème, elle est en couple depuis 5 ans avec son partenaire, elle
a eu des années pour regarder des vidéos explicatives, des “tutos”, sans pour autant
qu’elle puisse prendre le risque de parler de son problème ou de passer à l’action.
Prendre cette position d’expert aurait probablement conforté son sentiment de honte par
rapport à ses représentations sur le regard porté sur ses compétences en matière de
sexualité.
Il nous faudra encore plusieurs séances afin d’aborder les liens entretenus par Louise
avec le monde de la honte et les divers tiers entretenants ce monde. Cette illustration
clinique montre comment le monde de la honte peut engluer la personne. Elle s’insinue dans toutes ses pensées, inhibe toutes ses actions dans la vie en général. La honte altère
ici l’ensemble des liens: à soi, à l’autre et au monde des représentations. La plainte
d’ordre sexuel est alors une porte d’entrée vers le traitement d’une problématique infiltrant
finalement toutes les facettes de la vie. Il s’agit donc de progresser à tout petits pas, dans
la lenteur afin de restaurer le lien de confiance en l’humain avant d’envisager d’aller sur le
terrain de fond. La relation patient/thérapeute est la première marche de ce travail par le
tissage avec le patient d’un lien de sécurité et d’accueil inconditionnel.
En résumé
Souvent, indépendamment de son genre, de son orientation sexuelle ou encore de sa
culture, lorsqu’une personne pousse la porte d’un sexothérapeute, telle une ombre, la
honte l’accompagne. Nous aborderons dans cet article différentes facettes et
conséquences de la honte. Il s’agira de permettre au thérapeute de distinguer le sentiment
de honte contextuel et le monde traumatique complexe de la honte. Le cas clinique
exposé permettra d’illustrer comment la Thérapie du Lien et des Mondes Relationnels
facilite le travail lorsque la honte vient altérer tous les liens, à soi, aux autres et au monde
des représentations.
MOTS CLÉS : La honte ; Identité; Mondes relationnels ; externalisation ; scène imaginaire;
Thérapie du Lien et des Mondes Relationnels (TLMR); injonctions normatives;
Bibliographie
- Eric Bardot, virginie Bardot, Stéphane Roy (2022), « De l’htsma à la Thérapie
du Lien et des Mondes Relationnels », Bruxelle, ed SATAS - Daniel Stern (2003), « L e moment présent en psychothérapie » , paris , ed
Odile Jacob - Mickael White, David Epson, « Les moyens narratifs au service de la thérapie
», ed le germe SATAS, Bruxelle, 2003 - Virginie Bardot, Stéphane Roy, 2023, « récit de thérapeute, 15 illustrations
cliniques et pratiques en TLMR », Bruxelle, ed Satas - Günther Anders, 1956, “l’obsolescence de l’homme” paris, éditions de l’encyclopédie des
nuisances, Ivrea - Revue La peau, scène de la honte, champ psy 2012/2 numéro 62, éd l’esprit du temps