Article publié dans la revue Hypnose et thérapies brèves n°69 : Mai / Juin / Juillet 2023
Par Géraldine GARON | Infirmière anesthésiste D.E, Hypnothérapeute, Sexologue et formatrice à l’institut Mimethys.
Poudlard est mondialement connue comme l’école de magie qui a vu grandir Harry Potter et des élèves sorciers de tous horizons. Une communauté fracturée se dévoile à travers les lignes des romans de J.K. Rowling : sang de bourbe et sang pur, pauvres et riches, populaires et mis au ban, hybrides et humains. D’emblée, ces scissions sont symbolisées par la cérémonie de répartition où le Choixpeau magique décide dans quelle maison chaque enfant passera sa scolarité. Rivales ou alliées, Gryffondor, Poufsouffle, Serdaigle et Serpentard, sont porteuses de valeurs singulières.
Analogie de notre société, cette saga met en exergue le parcours d’enfants vers l’âge adulte, forcés de traverser moult épreuves, grâce à leurs ressources et à la magie.
À la relecture d’Harry Potter, des ponts se créent entre magie et thérapie. Comme dans les approches de soin relationnelles, l’autrice donne le rôle principal à la force du lien entre les protagonistes. En effet, quel que soit le danger qui guette, Harry et ses camarades s’appuient sur leurs groupes d’appartenance ou sur un adulte référent (professeur, parent vivant ou mort, parrain…). Les péripéties, sorts et créatures extraordinaires décrits sont des sources d’inspiration intarissables pour les métaphores hypnotiques. Elles ont été largement dépeintes dans les publications de confrères.
Plus surprenant, au fil des pages, les aventures des jeunes sorciers sont prétexte à l’utilisation de sortilèges s’apparentant au procédé d’externalisation.
Point de triangulation entre le patient et le thérapeute, l’externalisation naît du partage de leurs imaginaires, au moment présent. Posée de manière métaphorique devant leur yeux, la problématique (ou son effet sur le patient et/ou le thérapeute) peut prendre de multiples formes: objet, personnage réel ou imaginaire, mot ou son, souvenir, scène… La forme émergeant évoluera au cours de la séance. Grâce à ce troisième point, l’approche de la problématique est décentrée, distanciée, il fluidifie le processus d’accordage de la relation et limite de fait les abréactions. Il est ainsi possible d’une manière sécure pour le patient et le thérapeute d’accéder à leurs intentions propres, à celles du monde traumatique dans lequel le patient est englué et aux interactions entre ces différentes intentions. Ce cheminement a pour but de sortir d’une vision identitaire du problème et de modifier les perspectives de la personne.
La triangulation par l’externalisation est une pratique transversale reliant l’hypnose à la Thérapie du Lien et des Mondes Relationnels en passant par la thérapie Narrative. Erickson et Rossi l’ont conceptualisée en hypnothérapie, Michael White dans ses cartes narratives et Eric Bardot en a fait une des richesses de la Thérapie du lien et des mondes relationnels (TLMR, anciennement HTSMA). Nous allons illustrer la singularité de chacune de ces approches d’externalisation en partant d’une scène extraite de Harry Potter.
Les thérapeutes formés à la TLMR auront remarqué combien la «Pensine» ressemble au procédé d’externalisation sur écran de la main d’un souvenir. Lorsqu’un souvenir est jugé important, encombrant ou traumatique, le mage peut l’extraire de sa tête à l’aide de sa baguette et le stocker dans une fiole. «La pensine», récipient rempli d’une sorte d’eau brumeuse argentée et mouvante, permet de revivre à distance ces souvenirs. Albus Dumbledore, directeur de l’école de Poudlard décrit l’usage de sa pensine: «il suffit d’extraire les pensées inutiles de son esprit et de les déverser dans cette bassine pour pouvoir les examiner plus tard tout à loisir. Il devient alors plus facile de distinguer les structures et les liens qui les unissent lorsqu’elles se trouvent sous cette forme».
Le sorcier peut revisiter ses souvenirs (ou ceux des autres) de deux manières: en spectateur des images à la surface de ‘l’eau’ (tel l’écran de la main en TLMR) ou aspiré par la Pensine, comme spectateur invisible de l’action du souvenir, les effets ressemblant alors aux reviviscences post- traumatiques. Cette surface de projection qu’est la pensine permet en outre de trianguler avec un tiers.
Par exemple, Albus Dumbledore partage avec Harry via la pensine son souvenir de sa première rencontre avec Tom Jedusor (qui deviendra l’incarnation du mal: Voldemort). La scène se passe à l’orphelinat, où Albus Dumbledore décide de prendre sous son aile Tom Jedusor, enfant maltraité et rejeté pour ‘sa différence’. En permettant à Harry d’accéder à ce morceau du passé, il révèle sa part de responsabilité dans la genèse de Voldemort.
Ensemble, Harry et Dumbledore contextualisent, partagent leurs ressentis, observent les intentions de chacun des protagonistes, font des liens avec les relations interpersonnelles actuelles: à distance (temporelle et spatiale par la projection sur la pensine), la relecture du souvenir amène la possibilité d’une nouvelle perception du présent.
S’il existe d’autres modélisations utilisant l’externalisation en TLMR, on retrouve dans la Pensine des similarités avec l’externalisation du souvenir sur l’écran formé par la main du thérapeute dans le traitement du psychotraumatisme. L’utilité de la projection sur l’écran est de créer une dissociation protectrice, limitant les effets, afin de pouvoir aborder d’une façon plus sécure, les liens dysfonctionnels entre le patient et l’expérience traumatique. Ce procédé permet le partage dans
«l’ici et maintenant» entre le patient et le thérapeute: par sa pleine présence, ce dernier accompagne, observe et accueille les effets de cette scène traumatique chez le patient mais aussi chez lui. Pour Eric Bardot (créateur de la TLMR), le travail «ne porte pas sur l’événement en lui même mais sur les effets dans le présent de cet évènement passé» et «sur la relation que le patient entretient avec son vécu traumatique». La ressemblance entre pensine et externalisation du souvenir dans le travail du psychotraumatisme en TLMR s’arrête là: point de questionnement sur le cercle action/intention/effet, ni sur la cible dans ce roman! En revanche, on y découvre pléthore de références à d’autres bases de la TLMR: présence des différents tiers (soutien, autorisant, inversé, communautaire et spirituel), mise en scène métaphorique des mondes traumatiques et transgénérationnels, symbolisation de l’analogie des contraires, utilisation de la baguette magique pour faire émerger des ressources…
On remarque également dans la saga un des procédé les plus utilisé par les hypnothérapeutes en terme d’externalisation: la réification. Le thérapeute propose au patient de donner une forme à une émotion ou sensation désagréable (peur, douleur, tristesse…), ou à l’effet de cette émotion. Il lui suggère ensuite de modifier cette forme et questionne le retentissement sur l’effet, et ce jusqu’à des sensations psychiques et corporelles jugées acceptables. Cette modification sensorielle et émotionnelle permet au patient de changer sa relation au problème. L’apprentissage de cette technique en vue d’auto-hypnose, lui permet de retrouver de l’autonomie, du mouvement.
Le professeur Lupin , dans « Harry et le Prisonnier d’Azkaban », nous offre une mémorable démonstration de réification avec l’Épouvantard et la formule du Riddikulus. Le premier, un «non- être» nourri des plus grandes terreurs, se cache dans des coins sombres, et s’adapte à la personne qui le découvre. L’Épouvantard confronte celui qui le voit surgir à ses plus grandes peurs, et en prend la forme -par exemple une araignée géante. Plus il provoque de l’effet, plus il prend de l’ampleur et du pouvoir. Pendant cette externalisation, le professeur soutient l’élève soumis à sa frayeur. Il amène par suggestions progressives la formule du «Riddikulus» afin de réduire l’Épouvantard à une chose absurde aux yeux de celui qui le subit, et ainsi d’anéantir son effet: de la terreur aux rires. Il agit tel l’hypnothérapeute avec un patient souffrant de phobies: l’accompagner, réifier, pour lui permettre d’affronter ses peurs et leurs symptômes.
En la présence des Détraqueurs et de l’enchantement du Patronus, on retrouve une séquence faisant honneur aux cartes d’externalisation de la thérapie narrative. Ce travail thérapeutique, initié par un questionnement et par l’externalisation d’une forme représentant le problème, a pour intention de faire accéder la personne à des moments d’exception au problème et de mobiliser chez elle des ‘valeurs-ressources’ enfouies. On y explore les actions et effets du problème sur la personne et son entourage, et les liens qu’ils entretiennent avec le problème. Cette expérience aboutit à un positionnement et amène la réflexion sur l’identité de la personne, ses qualités, valeurs et aptitudes
relationnelles, souvent passées sous silence ou cachées sous l’histoire dominante reliée au problème. Une des autres particularités du questionnement externalisant en narrative est la place donnée aux interactions avec la communauté.
Les Détraqueurs sont une externalisation de la sidération: Créatures mortifères, en leur présence tout se fige, l’eau gèle. Ils aspirent par un baiser morbide l’âme de leurs victimes et font régner tristesse et désespoir. JK Rowling a d’ailleurs expliqué avoir trouvé les caractéristiques des Détraqueurs dans son expérience personnelle de la dépression. Pour faire rempart à ces vampires de l’âme, le sorcier doit puiser dans sa pulsion de vie afin de donner naissance à son Patronus, sous forme d’un animal. Seuls l’allégresse, le bonheur, puisés dans des souvenirs intenses en lien avec des êtres aimés, ou encore les valeurs personnelles porteuses d’espoir, permettent au Patronus de gagner en puissance pour protéger contre les Détraqueurs. Harry, apprend auprès du professeur Lupin cet enchantement. Sa détermination et sa connexion profonde avec un souvenir où ses parents lui parlent, pleins d’amour, convoque un cerf rayonnant qui charge de ses bois les Détraqueurs.
Ce sortilège révèle en pleine lumière l’identité méconnue, profonde, du sorcier ainsi que des souvenirs ressources construisant la base d’une histoire alternative. Comme le patient en thérapie narrative, lorsque l’on fait émerger des facettes de lui masquées jusqu’alors par le problème, il arrive que le magicien soit le premier surpris de la forme et de la force de son Patronus. Il faudra du temps à Harry pour réaliser que ce cerf majestueux jaillit de sa propre baguette.
Pour chacun des sorts cités dans cet article et mis en relation avec l’externalisation thérapeutique, les apprentis sorciers sont accompagnés par le professeur Lupin ou par le vénérable Dumbeldore, deux figures jouant un rôle d’écoute, de soutien, d’accompagnement, de témoignage et d’apprentissage, somme toute de thérapeute?
JK Rowling nous rappelle à chaque page que le changement ne se résume pas à des techniques ou à des tours de magie: la relation humaine reste la vraie star de Harry Potter. Comme dans le cheminement avec nos patients, on ne peut que s’émerveiller de découvrir les parcours de résilience des différents personnages.